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HUMEURS CHANGEANTES







Le petit clown se meurt



PRÉSENTATION DES HUMEURS

Il est bien difficile de cataloguer, encore plus de prévoir ses humeurs. Il est encore plus difficile de se rappeler ce qui vous a indigné, hier, avant-hier peut-être, mais il y a dix ans, quinze, vingt ans. Aussi étrange que cela pourra paraître à certains d'entre vous, si l'on me demandait à brûle-pourpoint ce qui m'a le plus indigné, ému, réjoui, exalté durant toute ma vie, dans cet instant même de la question posée, je serais incapable de répondre. Je pourrais associer certains événements à des moments d'intenses émotions, mais ces émotions m'ont quitté et tel que je suis aujourd'hui, avec l'expérience de mon âge, les connaissances nouvelles que j'ai des circonstances qui ont suscité mes réactions d'alors, font que cette humeur lointaine n'a plus de sens, devient aujourd'hui absurde, ridicule, infondée.

Je ne prendrai qu'un seul exemple pour bien me faire comprendre : le 22 Novembre 1963 entre 19h et 20h, j'étais à Grenoble. Je préparais alors le concours d'entrée aux Arts et Métiers. Nous étions en étude, les études de cette époque, y compris pour une classe préparatoire accueillant des jeunes gens de 18 ans, une étude au silence absolu. Un fait incroyable s'est produit, un surveillant est entré pour nous annoncer que le président Kennedy venait d'être assassiné à Dallas. Je revois encore la réaction de toute cette classe de garçons fiers à bras et fanfarons. Les yeux brillaient de larmes... Puis la colère, l'indignation l'ont emporté sur tout autre sentiment. Nous sommes restés pendus aux transistors avec la bénédiction de l'administration pendant une bonne partie de la nuit, jusques et y compris au dortoir.

Je continue aujourd'hui à condamner cet assassinat mais sur la base d'un principe moral. Je comprends, encore aujourd'hui, les sentiments qui étaient les nôtres, mais je ne les éprouve plus et je ne les partage plus. À l'image du jeune président séduisant et humaniste, victorieux du camp des conservateurs, s'est substituée celle d'un homme plus complexe, plus retors, calculateur, ayant parti lié avec la mafia. Si j'avais écrit à l'époque un billet d'humeur, je serais aujourd'hui contraint de le réécrire pour le nuancer.

À quoi bon, donc, diffuser des billets d'humeur s'ils sont si fragiles, si changeants ? Présomption ? Peut-être. Mais plus profondément désir de retenir l'essentiel, ce qui perdure, ce qui résiste au temps et à la mode, voire ce qui se confirme. Après un temps de réflexion - quelques heures - pendant lequel j'ai arrêté la rédaction de cet article, il me vient enfin à l'esprit une de ces humeurs passées mais qui perdure. L'exemple paraîtra mal choisi car à l'époque des faits je n'ai rien écrit, Mais...

En 1978, Ciryl Neveu est le vainqueur moto du premier Paris-Dakar. Malgré l'enthousiasme populaire déchaîné par l'événement, il existe quelques personnalités qui émettent des réserves sur cette compétition sportive. Parmi elle, René Dumont. Ciryl Neveu est interwievé sur France-Inter et on lui demande son avis sur les prises de position de René Dumont. Et j'entends encore aujourd'hui ce jeune homme de 21 ans, déclarer du haut de sa superbe de récent vainqueur que, ce Monsieur, ne connaît rien ou pas grand chose à l'Afrique. Les bras m'en tombent encore aujourd'hui. Si j'avais écrit à l'époque un billet d'humeur peut-être le rediffuserais-je. Mais je ne l'ai pas fait il y a 28 ans. Je n'ai pas à le faire aujourd'hui. René Dumont est mort et l'évolution actuelle de l'Afrique, confirme, hélas !, les analyses qu'il a présentées voici plus de cinquante ans. Ciryl Neveu a vieilli comme tout un chacun, j'ose espérer qu'il n'est plus un jeune homme de 21 ans.

C'est dans cet état d'esprit que j'aborde cette section des billets d'humeur : s'ils sont anciens et qu'ils ont encore un sens, je les diffuserais, sinon place à l'humeur du moment, quitte à me déjuger ou rejeter rapidement certains de ces billets.

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